Toronto, le 16 avril 2020

Monsieur le premier ministre,

Je sais à quel point vous êtes occupé. Vous êtes aussi trèsinquiet. Nous traversons des temps difficiles et les gouvernements font face à ces circonstances du mieux qu’ils le peuvent. Je vous demande de prendre un moment pour réfléchir.

Imaginez que vous aviez un enfant qui vivait seul loin de sa famille. Votre enfant avait 21 ans. Vous l’aidiez chaque mois en lui envoyant un petit chèque pour payer le loyer et la nourritureafin qu’il ou elle puisse fréquenter l’école. Vous étiez là pour votre enfant. Puis la pandémie a frappé. Vous avez alors dit à votre enfant qu’il n’y aurait plus de chèques. De plus, vous avez ajouté : « Voici le numéro de téléphone pour rejoindre l’aide sociale. Tu ne peux plus jamais m’appeler. » Pensez-y. C’est difficile d’imaginer un tel scénario.

Pourtant monsieur le premier ministre, c’est exactement ce que vous avez fait. Comme vous le savez, aucun enfant ne vous est confié parce qu’il ou elle est coupable de quoi que ce soit. En tant que premier ministre par l’entremise de votre système de protection de la jeunesse et de ses tribunaux, vous avez décidé que ces enfants ont besoin de votre protection. Vous les avez enlevés à leurs familles. Vous savez ce que vivaient ces enfants et ce qui vous ont amené à les prendre en charge en vertu de la loi.

Monsieur le premier ministre, vous avez promis de prendre soin et de défendre ces enfants. Ils s’attendaient peut-être même d’un peu d’amour de votre part.  Mais, vous n’avez pas été un trèsbon parent.  Vous les avez déplacés d’un foyer à un autre. Vous n’étiez pas toujours présent. Vous les écoutiez à peine. Vous leur avez aussi promis d’être un meilleur parent. Ceux qui avaient la garde de vos enfants avant vous ont fait les mêmes promesses. Promesses creuses. Vous avez fait de même. Vous, monsieur le premier ministre, étiez la seule personne responsable de leur survie. Au moins, la plupart ont survécu. Vous leur avez toujours dit que vous leur fourniriez un petit chèque pour vivre de façonautonome à l’âge de 18 ans et qu’ils pourraient vous contacter s’ils avaient besoin de quelque chose peu importe s’ils étaientprêts à vivre seuls. Mais par la suite, vous leur avez dit que ce chèque et ces appels de soutien disparaîtraient à l’âge adulte. Vos enfants vous ont dit : « On a l’impression que nous sommes poussés seuls au bord d’un gouffre. » Monsieur le premier ministre, vous avez agi comme si vous n’aviez pas le choix.

Aujourd’hui, vous et vos enfants vivez dans un véritable maelström causé par la pandémie et les mesures de santépublique mise en place pour lutter contre le virus COVID19. Les centres communautaires sont fermés. Les services de santé mentale sont débordés. Même les lieux de culte ne sont pas accessibles. Nous tous, y compris vous monsieur le premier ministre, se préoccupons de notre propre bien-être et de celui de nos proches. Sauf que vous continuez à dire à vos enfants qui dépendent de vous, vos enfants qui se débattent dans l’adversité, que vous ne leur donnerez pas d’argent pour payer leur loyer et leur nourriture. Vous leur dites de ne pas appeler à la maison. Vous leur dites même en les poussant par la porte dans l’abîme de cette crise pandémique que vous êtes en train de préparer unplan. C’est peut-être vrai, n’empêche que vous continuez de les forcer à quitter vos soins.

Ne serait-il pas préférable que vous disiez à vos enfants : « Je me soucie de vous. J’aimerais que vous gardiez le contact avec moi si vous le souhaitez. Je continuerai d’être là pour vous. Je pense pouvoir faire mieux. » N’est-il pas temps monsieur le premier ministre que vous soyez un meilleur parent?

Je connais bien vos enfants. Je peux vous promettre qu’enprononçant ces mots publiquement le plus tôt possible leur ferait du bien et les rassureraient. Vous pouvez le faire et n’oubliez pas que vos plus jeunes enfants vous observent aussi. Chaque geste que vous posez est un message. C’est le temps de faire ce qu’il faut.

Dès aujourd’hui et jusqu’à la fin de la pandémie lorsque le Québec aura retrouvé son train normal, vous devez cesserd’obliger les enfants et les jeunes, quel que soit leur âge, à quitter le système de protection de la jeunesse dont vous êtes responsable. Montrez à vos enfants que vous vous souciezd’eux.

Cordialement,

Irwin Elman

Conseiller mondial, Until the Last Child, conseiller spécial,Fondation Laidlaw, ancien Intervenant provincial en faveur des enfants et des jeunes de l’Ontario